Le sauvetage des musiques traditionnelles

par V. Ginouvès et B. Bonnemason

Collecter, documenter et valoriser les musiques traditionnelles

vielleuxAu lendemain de Mai 68, et sous l’impulsion du mouvement folk – mouvement musical et politique en provenance des États-Unis – des jeunes, pour la plupart étudiants, se donnent pour objectif de retrouver la culture populaire de leurs grands-parents, une culture qui caractérisait la société traditionnelle, indissociable des langues régionales, et tombée en désuétude au lendemain de la seconde guerre mondiale. C’est donc un vide laissé par une rupture d’au moins deux décennies qu’ils tentent de combler en recueillant les dernières survivances d’une culture vouée à l’oubli et à la disparition.

Cette redécouverte prend place dans l’émergence d’un nouveau courant musical : celui de la musique traditionnelle. Les penseurs et artistes du mouvement folk avaient ouvert la voie : dans chaque pays, dans chaque région, il y a une culture musicale spécifique et ancienne que la population concernée doit redécouvrir. La tâche allait être difficile car, pour beaucoup de régions françaises, on ne savait quasiment plus rien des traditions musicales.

Dans certains cas, la transmission n’était plus possible : plus aucun musicien ou fabricant d’instruments de musique n’était là pour rendre compte d’une pratique instrumentale qui, trente ans auparavant, était encore vivace ; plus personne n’était capable de décrire telle danse dont le nom évocateur avait été relevé dans un texte. Le seul matériau dont on disposait consistait généralement en quelques instruments de musique conservés dans des musées locaux ou nationaux, ainsi que les quelques travaux des folkloristes du XIXe siècle – articles mais surtout recueils de chansons populaires –, alors disponibles dans le commerce ou en bibliothèque.

Le collectage

C’est donc à partir du milieu des années 1970, au moment où de nombreuses associations à vocation patrimoniale et identitaire voient le jour, que l’on se met à recueillir la mémoire d’une population âgée originaire du milieu rural, opération communément appelée aujourd’hui le « collectage » (cf. image). Qu’il s’agisse du répertoire instrumental ou chanté, ou bien encore d’enquêtes ethnographiques, le collectage répond à certains critères :

  • le choix d’une aire géographique. Les enquêtes orales sont effectuées sur des aires géographiques reconnues comme représentatives d’une spécificité culturelle et linguistique ;
  • le choix d’une thématique.

Au-delà du souci musical, la quête de la mémoire populaire s’est souvent élargie à des thématiques larges permettant d’embrasser l’identité culturelle d’une région donnée. La préoccupation identitaire est d’ailleurs elle aussi en plein essor à ce moment-là. Tout naturellement, un recoupement s’opère, notamment dans les régions comme la Bretagne, les Pays d’Oc, la Corse, le Pays basque et l’Alsace, où existe une langue régionale.

Les premières années de collecte sont marquées par une forte conscience du caractère urgent de ces opérations de sauvegarde et surtout par beaucoup d’enthousiasme. Ce n’est que petit à petit que s’affirme l’intérêt d’une méthode d’enquête, notamment grâce à la diffusion de grilles de questions, à l’organisation de stages 2 et à la publication de travaux. Logiquement, les collecteurs se sont tournés vers la technique de l’enregistrement sonore ou audiovisuel qui fixe de manière efficace le caractère oral d’un morceau instrumental, d’un chant ou bien d’un récit sans le dénaturer.

Cependant, dans la majorité des cas, on enregistre sans être spécialiste des techniques du son et avec du matériel qui n’est pas toujours très bien adapté aux conditions d’enquêtes sur le terrain. En règle générale, c’est le magnétophone qui est employé. On a plus rarement recours à la caméra, utilisée surtout pour des enquêtes qui concernent la danse traditionnelle, les savoir-faire techniques, ou bien encore la gestuelle propre aux pratiques narratives.

Tradition orale, mémoire populaire et identités culturelles

musique d'autrefoisCet intérêt pour l’oralité et la tradition orale ne se développe pas uniquement dans le cadre associatif. Dans plusieurs centres universitaires, des équipes de chercheurs, sensibles à la question des identités culturelles et régionales et à celle de la mémoire populaire, vont produire des travaux concernant surtout la littérature orale et la chanson traditionnelle. C’est le cas du Crehop (Centre de recherche sur les ethnotextes, l’histoire orale et les parlers régionaux) qu’une équipe pluridisciplinaire composée d’ethnologues, historiens et dialectologues fonde en 1980 autour du nouveau concept d’ethnotexte. Citons également le Centre de recherches bretonnes et celtiques à l’université de Bretagne occidentale, ou bien encore les travaux de Daniel Fabre et Jacques Lacroix sur le conte populaire.

 

Mouvement de la musique traditionnelle

Les associations créées à partir du début des années 1970 sont pour la plupart constituées d’équipes de bénévoles, mais quelques-unes fonctionnent dès leur création avec un personnel salarié et un cahier des charges bien défini. C’est le cas de l’UPCP (Union pour la culture populaire en Poitou-Charentes, cf. image) en 1968, du Conservatoire occitan à Toulouse en 1971 et de Dastum, à Rennes en 1972.

Bien que certaines manifestations musicales soient aussi des lieux de concertation entre les différents acteurs et structures en place, il faut attendre 1981 pour parler de structuration du mouvement des musiques traditionnelles. C’est en effet cette année-là qu’un Bureau des musiques traditionnelles est créé au sein du ministère de la Culture 3. Cette nouvelle politique en faveur des musiques traditionnelles aboutit en 1985 à la création de la Fédération des associations de musiques traditionnelles, suivie en 1989 par les Assises nationales de la musique traditionnelle organisées à Paris. En 1990, des « centres des musiques et danses traditionnelles en région » sont institués dans sept régions.

L’objectif principal de la collecte fut de restituer par le moyen des bals, stages et ateliers ce que l’on venait d’apprendre.


Auteurs : Véronique Ginouvès et Bénédicte Bonnemason
Extrait du texte « Les phonothèques de l’oral » BBF 2002 - Paris, t. 47, n° 02, disponible sur le site du BBF