Mes premiers pas en bal folk

Questions et a priori
Mes premiers pas
Une liberté s’installe
De l’assurance au plaisir
Naissance d’un style
Du pur bonheur

Questions et a priori

Je me souviens de mon premier bal folk… je m’étais retrouvé là un peu par hasard car je n’avais jamais dansé. J’étais surpris de voir des danses si nombreuses et si différentes, en couple, en ligne, en grand cercle et bon nombre de danseurs de tous âges qui les enchaînaient sans difficulté apparente. Moi, je ne voyais pas l’intérêt, ni le plaisir que pouvaient procurer ces danses. J’avais le sentiment qu’à la moindre tentative tous les regards seraient rivés sur moi pour déceler mes maladresses. Mais finalement, je fus marqué par l’ambiance conviviale et un lien particulier qui semblait unir les danseurs et les musiciens. Je comprenais que, tout le monde n’était ici que pour partager en dansant et changer souvent de partenaire. Je me suis dit que, somme toute, ces danseurs ont bien été débutants un jour. Même les "experts" ne sont pas nés danseurs. Alors, j’ai décidé de me lancer et de tenter les danses les plus simples.

Mes premiers pas

Je m’appliquais dans les branles. Même si, pour moi, «branle des cosses» ou «mètre de maison», c’était du pareil au même, je m’accrochais dans la chaîne et j’essayais de suivre le mouvement. Je sentais mes gestes crispés et saccadés, n’arrivant pas à coordonner mes bras et mes pieds. J’avais l’impression de courir après mes pas. Je regardais les autres danseurs pour copier leurs mouvements. Je n’écoutais pas la musique tant j’étais concentré sur mes pieds tout en comptant les temps de la danse. Je n’arrivais pas à faire de petits pas et, sur certains rythmes effrénés, j’aurais parfois préféré sauter dans tous les sens. Mais, ce n’était visiblement pas le style de la soirée et je pouvais constater, sur bon nombre de visages, le plaisir à évoluer en souplesse. Quant aux danses de couple, même la polka il ne fallait pas m’en parler. Je n’osais inviter personne. Je ne faisais même pas de lien entre la mélodie et les pas. Mais une jeune femme m’invita spontanément, je n’osais pas refuser. Impossible pour moi de guider ma partenaire qui de toute façon, dansait mieux que moi. J’essayais simplement de danser en même temps qu’elle. 

Une liberté s’installe

Quelques danses plus tard, à force de répéter les mêmes pas, ils devinrent plus machinaux. Alors, dans les danses en chaîne, au lieu de fixer les pieds de mes voisins, je regardais les musiciens et les visages souriants des danseurs. Étant moins concentré, je pouvais sentir la musique et laisser mes pieds deviner le mouvement. C’est alors que le lien entre la musique et les pas me parut plus évident. « Tiens, c’est fou, ça devient plus facile quand on oublie ses pieds ! ». Je pouvais vivre la danse de manière plus agréable, plus… complète. Comme j’avais l’impression que « ça rentrait », je décidais d’inviter une partenaire pour la prochaine danse de couple ! Ce fut une scottish. J’ai demandé à une danseuse qui connaissait de jolies variations de me l’apprendre. Elle a été géniale ! Au début, elle comptait les temps à mon oreille, répétant toujours la même figure. Une fois le pas de base à peu près assimilé, elle m’a guidé dans quelques variantes. Même si ce n’était pas évident de retomber toujours sur le bon pied, je m’amusais davantage et je découvrais le lien qui se tisse avec une cavalière le temps d’une danse. Vivement la prochaine fois ! 

De l’assurance au plaisir

J’ai persévéré et, au fur et à mesure des bals et des danses, j’ai pris de l’assurance et des automatismes se sont installés dans les pas. Je n’avais plus l’impression que mes pieds récitaient une leçon. Mes mouvements devinrent plus précis et plus souples. Je constatais que je progressais dans de nombreuses danses, même si la mazurka restait un peu à la traîne. Parfois, dans un coin de la salle, je demandais des explications à un danseur sur un pas plus difficile. Ou alors, avant de me lancer dans la danse, j’écoutais la musique pour repérer le rythme et placer le temps fort. Mon oreille s’affinait et je commençais à savourer la subtilité des musiques traditionnelles. Le rythme de mes pas collait enfin à celui de la musique. Un soir, lors d’un rond de Saint-Vincent, j’ai remarqué quelque chose de nouveau : l’incroyable unité que forment les danseurs entre-eux, voire même les danseurs avec les musiciens. Quelle osmose ! J’ai également constaté qu’un danseur tout emmêlé regardait mes pieds - tiens, ne serais-je donc plus débutant ? - et, à la valse suivante, ce fut une cavalière qui connaît même la polska qui m’a invité et j’étais loin d’être le dernier garçon disponible ! Je découvrais maintenant le plaisir d’essayer des danses plus techniques ou plus occasionnelles, comme : les bourrées à figures, l’avant-deux ou les sauts béarnais. Il y avait encore tellement à découvrir dans ce répertoire, tant pour les musiques que pour les danses et leurs contextes. J’allais au bal pour profiter de la musique en dansant parfois «à l’économie» pour tenir jusqu’au bout de la nuit. J’appréciais cette conception de la fête, l’aspect fédérateur des danses qui induit le passage d’un mode de vie individualiste vers le partage.

Naissance d’un style 

Je me suis perfectionné grâce aux ateliers et stages de danse traditionnelle. Les explications m’ont aidé à danser juste, à maîtriser certaines subtilités et à vaincre quelques difficultés. Ainsi, au fil des séances, j’ai pu m’affranchir du pas de base et m’approprier la danse. J’ai appris à affiner mes mouvements. Aujourd’hui, mes gestes ne sont plus trop amples, les mouvements sont fluides, sans raideurs. Je m’imprègne de la musique, laissant mes pieds suivrent le rythme et je prends un plaisir différent selon les danses. J’aime les regards subtils et les frôlements surprises de la bourrée. J’aime intérioriser la mazurka. J’aime les tourbillons de la valse. J’aime réinventer des figures de scottish. D’un regard large embrassant toute la salle, j’aime contempler le mouvement collectif des danseurs. J’aime ressentir ce que veulent faire passer les musiciens et réagir à leurs mélodies qui vibrent en moi. J’aime la liberté d’expression que permettent ces danses et qui me conduit dans diverses improvisations : simple ornement ou manifestation de virtuosité ou d’audace… Ceci, tout en respectant les bases et l’esprit initial de la danse. J’ai acquis un style qui m’est personnel. Je m’approprie la musique et je la remets en forme par la danse. Je suis acteur de Ma danse. 

Du pur bonheur 

Cette musique, c’est un tremplin vers le plaisir. Quand vient un morceau que j’écoute souvent à la maison, la joie de danser est à son paroxysme. J’aime conduire ma cavalière par des gestes précis, par un toucher sensible. Parfois, j’arrive à prévoir l'arrangement mélodique suivant et, quand je devine la fin du morceau, je surprends ma partenaire en la guidant dans une figure finale. J'apprécie de changer de cavalière, d'être à son écoute pour répondre à une variation de pas. Je cherche son style et j’essaie d’imiter sa gestuelle « Tiens une débutante qui sautille…cela me rappelle quelqu’un ! ». Changer, c'est s'enrichir, car chaque nouveau partenaire nous offre une autre approche de la danse. De deux monologues qui se font face, on peut passer à un véritable dialogue. Un dialogue silencieux, un dialogue par les yeux, le sourire et le geste. Alors, le rapport dans le couple dansant passe de la communication… à la communion. Quel bonheur ! Je suis heureux d’avoir persévéré. 

Hervé S. n co

Texte paru dans Trad Magazine n° 118 en Mars 2008