Le bal folk, l'alibi de la baise ? par Epistémologix

Danse...Epître de Saint-Paul aux Circassiens

Beaucoup de prophètes, naguère, ont estimé que les danses traditionnelles remontaient à la préhistoire et que certaines avaient été à l'origine des rituels d'initiation sexuelle. Non seulement j'incline à penser comme eux, mais j'irai plus loin : je pense que c'est évident, même si nous sommes gênés de le reconnaître. Dans le cadre de notre séminaire d'aujourd'hui, je me propose donc d'aborder avec vous en toute franchise un sujet tabou, que dans un souci de clarté indifférent à tout pédantisme, j'intitulerai : «le bal folk, c'est l'alibi de la baise».

Je ferai trois remarques préalables : un, pour éviter toute équivoque, nous conviendrons de prendre « la baise » dans son acception étymologique : « action de procéder à l'acte de chair (vulg.) » ; deux, un bal rassemble des musiciens et des danseurs ; nous traiterons successivement des uns et des autres ; trois, « alibi » donne à penser qu'on ne baise pas vraiment. On alibaise, en quelque sorte. Pour hasardeuse que soit cette conviction, nous l'admettrons comme postulat de départ.

Dans l'optique de la question posée, on peut répartir les musiciens en huit groupes :

  1. Les gynécologues, professionnels blasés qui donnent l'impression de bosser, là où les autres prennent du plaisir. « En avant blonde », en salle de travail !
  2. Les techniciens virtuoses : et que je te fais des diminutions, et que je t'invente une impro planante, et que je te tire mon coup de quatre ! Admirez mon tourniquet bulgare et achetez mon manuel : cent doigtés qui la rendront folle.
  3. Les violeurs, ceux qui cognent sur le temps et le contretemps, pour être plus sûrs : les bourrées, toutes des chiennes.
  4. Les éjaculateurs précoces : plus vite on arrive au bout, plus vite on est débarrassé. Ay arriba, arriba, speedy Gonzalès, pas le temps d'enfiler un capodastre, je suis garé en double file.
  5. Les onanistes, virtuoses du coup de poignet, mais sourds à ce que joue le voisin.
  6. Les intermittents, plus souvent croyants que régulièrement pratiquants.
  7. Tous les autres, les fétichistes de la syncope, les sado-maso du rubato, les travelos du vibrato, les trempeurs du transversal.
  8. Les musiciens amoureux de la musique traditionnelle et respectueux de la danse.

A noter que les sept premières catégories regroupent plus de baiseurs que de baisés. Les baisés, ce sont les danseurs.

Les danseurs d'ailleurs se baisent entre eux pendant ce temps là. Exemple : les mixers. Vous avez les légionnaires du Circassien, qui font un tour de plus dans le swing pour faire panteler leur proie ; les softies anxieux, qui en font un de moins, de peur de démarrer la promenade dans le mauvais sens ; les explorateurs de la Circassie, qui traversent le cercle pour échapper à Bobonne; les amoureux transis, qui entreposent une main légère, mais moite, sur la taille de la fille ; les prédateurs confiants, qui la tiennent fermement sous l'aisselle, au ras du balconnet; les compliqués du Kamasoutra qui vous imposent une manière tordue de se tenir dans le swing ; les transsexuels, qui avancent au centre en même temps que leur partenaire ; les maquereaux, qui se tournent vers leur morue avec des battements de queue.

Dans la danse de couples, c'est différent. Disqualifions sans nous attarder le partenaire qui a bouffé de l'ail bio, celui qui s'est aspergé d'after-shave, celui qui a un Marcel sous sa chemise, celui qui finira bien par vous dégrafer le soutif. Ceux-là sont éducables.

Mais il y a les autres : les Pygmalions, qui connaissent des variantes de scottish inconnues de leur Lolita ; les dominatrices, qui conduisent un mâle soumis et hagard ; les exhibitionnistes, qui fuient le rondeau en chaîne pour montrer qu'ils croient savoir le danser en cortège; les pédophiles, qui s'éclatent dans la bourrée des jeunes entre deux animations scolaires ; les abstinents, qui ne sautent jamais dans la scottish ; les blasés, qui attendent la polska pour arriver sur la piste ; les conjugaux, qui invitent toujours la même ; les féminines pas féministes, qui attendent qu'on les invite ; les chatouilleuses hystériques, qui rient trop fort ; les petits, qui vous font froid au ventre avec leurs lunettes ; les missionnaires, qui restent sur leur position.

Soyons juste : il n'y a pas que la baise, Dieu merci ! Il y a les m'as-tu-ouï, qui chantonnent la mélodie en dansant; les autistes, qui ne regardent pas leur partenaire ; les extravertis, qui en regardent une autre ; les narcissiques, qui ne regardent qu'eux-mêmes ; les bigotes, qui veulent qu'on sache qu'elles connaissent Marc Perrone.

Et puis vous avez les réincarnés réminiscents, qui dans une vie antérieure ont participé du règne animal : les ex-gallinacés, qui tournent la tête à chaque pas de valse ; les ex-bovins, scotchés au pied du podium, à regarder si les musiciens sont bien en train; les cheptels associatifs ; les singes savants ; les ours ; les cœlacanthes ; les dipneustes ; les dahus.
Enfin, vous avez les sportifs. Ceux qui savent godiller et qui godillent ; ceux qui ne savent pas godiller et qui disent préférer le chasse-neige ; ceux qui se fartent ; ceux qui baisent ball ; ceux qui se déshaltèrent entre deux danses; des décathloniens et des entravés ; des fervents des sports co et des adeptes de l'effort individuel - dans les branles notamment (onani soit qui mal y danse).

Les deux derniers groupes confluent volontiers en un troisième : depuis quelques années, on voit proliférer des danseurs nourris de farines animales, à la gestique originale et imprévisible, mais toujours ample, capable, d'un seul faux pas, de traverser la salle de bal, condamnant à la clandestinité ou à la rééducation tout ce qui, l'instant d'avant, ambitionnait pacifiquement de persévérer dans son être pour un laps de temps raisonnable.

Nous voici donc arrivés au terme de notre étude. Si quelqu'un a des questions à poser ? Pardon ? Oui, bien sûr, ma sœur, mais on ne peut pas parler de tout. Parce qu'alors, il faudrait évoquer aussi tous ceux qui platoniquent (non, justement, pas ta mère), ceux qui se le font au jus d'orange et ceux qui BZH. Et c'est ça, finalement, qui est rassurant : le bal, c'est pour tout le monde ; et il faut de tout pour faire ce monde-là.

Epistémologix


Textre extrait de Trad Mag N° 108 - juillet / Août 2006
Publié avec l'autorisaiton du la revue et celle de l'auteur.
Le monde des musiques & danses traditionnelles